dimanche 24 novembre 2013

Pour ton père

Noël arrive à grand pas, et il n'y a pas de plus beau cadeau - tant  à offrir qu'à recevoir - qu'un livre. Voici mes suggestions afin de vous aider à choisir ce qui saura plaire à votre papa !



Dix journées qui ont fait le Québec
Collectif, VLB éditeur.
Parution: novembre 2013
Si l'histoire d'une nations e construit dans la durée, on sait aussi qu'elle s'écrit dans de formidables moments d'Accélération déclenchés par un événement précis. Passionnant voyage dans l'aventure québécoise, ce livre nous invite à traverser quatre siècles en dix escales: dix journées de colère ou de liesse, de défaite ou de victoire, de recul ou de progrès - dix dates fatidiques qui continuent encore aujourd'hui de définir le Québec. 



La trilogie berlinoise
Philip Kerr, Le livre de poche.
Parution : juin 2010.
De 1936 à 1947, Bernie Gunther,  n'en finit pas d'explorer les sombres allées du IIIe Reich. Ce héros solitaire voit sa morale mise à rude épreuve dans un Berlin corrompu et violent. La Trilogie berlinoise, tout en respectant les règles du genre policier, offre un portrait glaçant et puissamment évocateur de Berlin au quotidien à l'ère nazie.



Guy Lafleur: la légende
Pierre-Yvon Pelletier, Édition de l'Homme.
Parution : octobre 2013.
Plus de vingt ans après sa retraite définitive, Guy Lafleur demeure l'un des hockeyeurs québécois les plus populaires de tous les temps. Revivez les jeunes années du célèbre numéro 10, de ses premiers coups de patin aux fulgurants succès remportés avec les Remparts de Québec. Suivez-le sur les patinoires de la Ligue nationale, où il a déjoué d'innombrables adversaires et célébré tant de victoires. 



Richard Ford, Boréal. 
Parution : septembre 2013. 
Quand les parents de Dell Parson, quinze ans, décident de commettre un vol de banque, celui-ci comprend qu'il doit dire adieu à jamais à son rêve de vivre une vie normale et paisible. Une amie de la famille l'aide à traverser en secret la frontière canado-américaine et le remet entre les mains d'un autre Américain en exil, Arthur Remlinger, qui sous ses airs matois cache une nature d'une redoutable violence. 


Au revoir là-haut
Pierre Lemaître, Albin Michel.
Parution: Août 2013.
Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu'amorale. des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts... Fresque d'une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d'évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l'après-guerre de 1914. 



Transatlantic
Colum McCann, Belfond.
Parution : Septembre 2013.
S'appuyant sur une construction impressionnante d'ingéniosité et de maîtrise, l'auteur bâti un pont sur l'Atlantique, entre l'Amérique et l'Irlande, du XIXe siècle à nos jours. Mêlant Histoire et fiction, une fresque vertigineuse, d'une lancinante beauté. À Dublin, en 1845, Lily Duggan, jeune domestique de dix-sept ans, croise le regard de Frederick Douglass, le Dark Dandy, l'esclave en fuite, le premier à avoir témoigné de l'horreur absolue dans ses mémoires. Ce jour-là, Lily comprend qu'elle doit changer de vie et embarque pour le Nouveau Monde, bouleversant ainsi son destin et celui de ses descendantes, sur quatre générations.

Collectif, Septentrion. 
Parution : septembre 2013. 
Les États-Unis sont militairement imbattables... Les téléphones cellulaires causent le cancer... Les drogues "douces" sont moins dangereuses... Guillaume Lamy et ses collaborateurs reviennent avec de nouveaux sujets. Leur but reste le même: réfuter toute affirmation qui se prétend être vraie pour en éradiquer la contagion.  


Guy Delisle, Delcourt. 
Parution : novembre 2011.
Guy Delisle et sa famille s'installent pour une année à Jérusalem. Pas évident de se repérer dans cette ville aux multiples visages, animée par les passions et les conflits depuis près de 4000 ans. Au détour d'une ruelle, à la sortie d'un lieu saint, à la terrasse d'un café le dessinateur laisse éclater des questions fondamentales et offre une vision différente de Jérusalem. 

Sorj Chalandon, Grasset.
Parution : août 2011. 
Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n'ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des libres seront peut-être écrits sur moi, et j'enrage. N'écoutez rien de ce qu'ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu. Personne n' jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seule à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence. 

La vérité sur l'affaire Harry Québert
Joël Dicker, Éditions de Fallois.
Parution : novembre 2012.
À New-York, au printemps 2008, alors que l'Amérique bruisse des prémices de l'élection présidentielle, Marcus Goldman, jeune écrivain à succès, est dans la tourmente: il est incapable d'écrire le nouveau roman qu'il doit remettre à son éditeur d'ici quelques mois. Le délai est près d'expirer quand soudain tout bascule pour lui: son ami et ancien professeur d'université, Harry Québert, l'un des écrivains les plus respectés du pays, est rattrapé par son passé et se retrouve accusé d'avoir assassiné, en 1975, Nola Kellergan, une jeune fille de 15 ans, avec qui il aurait eu une liaison. 

Le guide du mauvais père
Guy Delisle, Delcourt.
Parution : février 2013.
Oublier le passage de la petite souris, traumatiser sa fille avec une terrifiante histoire d'arbre qui pousse dans l'estomac, dénicher des conseils peu avisés pour encourager fiston à taper plus fort sur le punching bag... Guy Delisle, un mauvais père ? Non, un auteur de bande dessinée qui sait puiser l'imagination là où elle se trouve, avec un sens aigu de l'observation et une bonne dose d'autodérision. 

La solitude des nombres premiers

Un roman de Paolo Giordano

Les nombres premiers ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes; soupçonneux et solitaires, certains possèdent cependant un jumeau dont ils ne sont séparés que par un nombre pair. Mattia, jeune surdoué, passionné de mathématiques, en est persuadé: il compte parmi ces nombres, et Alice, dont il fait la connaissance au lycée, ne peut être que sa jumelle. Même passé douloureux, même solitude à la fois voulue et subie, même difficulté à réduire la distance qui les isole des autres. De l'adolescence à l'âge adulte, leurs existences ne cesseront de se croiser, de s'effleurer et de s'éloigner dans l'effort d'effacer les obstacles qui les séparent. Paolo Giordano scrute avec une troublante précision les sentiments de ses personnages qui peinent à grandir et à trouver leur place dans la vie. Ces adolescents à la fois violents et fragiles, durs et tendres, brillants et désespérés continueront longtemps à nous habiter. 

Le premier roman de l'auteur italien Paolo Giordano, La solitude des nombres premiersparu en 2008 (sorti en 2009 en France) a reçu  un excellent accueil de la part des critiques comme des lecteurs. Son dernier roman paru chez Seuil en août 2013 fait également parler de lui.

La solitude des nombres premiers est un roman sur l'amour et l'amitié, mais aussi, et surtout, sur la solitude. Mattia et Alice, les adolescents que Giordano y dépeint sont deux nombres premiers, deux jeunes différents - voire bizarres - et qui s'unissent et se soutiennent, sans tout à fait se comprendre.  Leur solitude est à la fois voulue et imposée, à cause de leurs différences, bien sûr, parce qu'on peut très bien être seul, même - et surtout - au milieu d'une foule.

Leur rencontre à l'adolescence leur permet de se reconnaître enfin dans les drames d'un autre, d'unir leur souffrance. Mais malgré leurs tentatives visant à s'intégrer ils échoueront tous deux, et la solitude, parfois si confortable, l'emportera finalement sur l'envie de normalité. Ce qui en fait une histoire de non-dits, de choix trop peu assumés, de vies gâchées et d'amour impossible. 
"Le fait que chacun de ses actes dût toujours lui sembler irrémédiable, définitif, l'insupportait. Elle appelait cela le poids des conséquences et elle était persuadée que son père en était responsable, qu'un morceau encombrant de sa personne s'était incarné au fil des ans dans son cerveau à elle. Elle désirait avidement la désinvolture des filles de son âge, leur sentiment vain d'immortalité. Elle désirait toute la légèreté de ses quinze ans, mais elle distinguait dans cette quête la fureur avec laquelle le temps qu'elle avait à sa disposition s'enfuyait. Le poids des conséquences se faisait donc insupportable, et ses pensées tournoyaient de plus en plus vite, en cercles de plus en plus petits." p.89
Un court roman qui se lit rapidement, qui est beau, différent et touchant. À lire !

Voici la bande-annonce de l'adaptation cinématographique: 



Paolo Giordani, La solitude des nombres premiers, Seuil, 2009, 329 pages.

mardi 19 novembre 2013

L'Appel du Coucou

Un roman de Robert Galbraith

Une nuit d'hiver, dans un quartier chic de Londres, le célèbre mannequin Lula Landry est trouvée morte, défenestrée. Suicide. Affaire classée. Jusqu'au jour où l'avocat John Bristow, frère de la victime, frappe à la porte du détective privé Cormoran Strike. 
Strilke est au bout du rouleau: ex-lieutenant dans l'armée, il a perdu une jambe en Afghanistan, sa carri;re de détective est au point mort et sa vie privée un naufrage. Aidé par une jeune recrue intérimaire virtuose de l'Internet, Strike est chargé d'enquêter sur la mort de Lula. 
De boites de nuit branchées en palace pour rock stars assaillies par les paparazzi, en passant par un centre de désintoxication et l'hôtel particulier oz se meurt la mère adoptive de Lula, Strike va passer de l'autre côté du miroir glamour de la mode, dont les reflets chatoyants dissimulent un gouffre de secrets, de trahisons, de manoeuvres inspirées par la vangeance. 
Avec son intrigue haletante et sa galerie de personnages plus vrais que nature, l'Appel du coucou premier volet des aventures du detective Strike, s'inscrit dans la tradition du grand roman policier classique illustrée par Ruth Rendell ou P.D. James. Un coup de maître. 

Ce n'est plus vraiment un mystère pour personne; Robert Galbraith est le pseudonyme de l'auteure à succès J. K. Rowling, célèbre pour la série Harry Potter. Déjà, lors de la sortie britannique de L'Appel du Coucou, des critiques avaient jugé le roman trop habile pour être l'oeuvre d'un débutant. Quelques mois plus tard, la vérité faisait surface, et le roman, qui n'avait été vendu qu'à 1700 exemplaires se hissait dans le haut des ventes. 

L'Appel du Coucou est donc un roman policier classique, où l'on suit le travail d'un détective privé qui enquête sur un présumé suicide. Ce détective, Cormoran Strike est une grosse brute bourrue et attachante à la jambe de bois, qui éprouve des difficultés dans sa vie personnelle et professionnelle. Engagé par le frère de la victime et assisté de Robin, une secrétaire efficace, mais un brin capricieuse, il découvre l'univers des gens très riches et des top models, afin de découvrir si la belle Lula Landry s'est bel et bien suicidée. 

"Mais ce soir, il ne pouvait s'empêcher de voir dans sa mère une soeur spirituelle de la jeune femme si belle et si fragile dans le corps s'était brisé sur une chaussée gelée par une nuit de janvier, et aussi de la marginale sans grâce et sans domicile qui gisait maintenant dans un tiroir réfrigéré de la morgue de Wapping. Leda, Lula et Rochelle n'avait jamais été des femmes comme Lucy ou tante Joan: elles ne s'étaient pas prémunies contre la violence et les hasards de la vie; elles ne s'étaient pas ancrées à l'existence par des devoirs domestiques et des traites immobilières, du bénévolat de quartier, des maris sûrs et des enfants proprets. Aussi leur mort n'était-elle pas considérée comme "tragique" au sens où l'aurait été celle d'une mère de famille sérieuse et respectable."

Bref, un roman policier habile présentant une intrigue bien ficelée, un suspense efficace et un dénouement plutôt surprenant sans sortir de l'ordinaire.  En effet, L'Appel du Coucou aurait bien pu passer inaperçu à travers tous les romans du genre, si l'identité réelle de l'auteure n'avait pas été révélée. À lire si on aime les romans policiers classiques et non pas pour retrouver ne serait-ce qu'une parcelle de Harry Potter. 

Robert Galbraith, L'appel du coucou, Grasset, 2013, 572 pages. 

samedi 16 novembre 2013

La cuisinière d'Himmler

Un roman de Franz-Olivier Giesbert

Ceci est l'épopée drolatique d'une cuisinière qui n'a jamais eu peur de rien. PErsonnage loufoque et truculent, Rose a survécu aux abjections de cet affreux XXe siècle qu'elle a traversé sans rien perdre de sa sensualité ni de sa joie de vivre. Entre deux amours, elle a tout subi: le génocide arménien, les horreurs du nazisme, les délires du maoïsme. Mais, chaque fois, elle a ressuscité pour repartir de l'avant. Grinçant et picaresque, ce livre raconte les aventures extraordinaires d'une centenaire scandaleuse qui a un credo: "si l'Enfer, c'est l'Histoire, le Paradis, c'est la vie."

je ne connaissais pas l'auteur de La cuisinière d'Himmler, qui a pourtant rédigé d'autres romans avant celui-ci, mais cette lecture m'a donné envie de découvrir ses autres écrits. Giesbert nous présente ici les mémoires de Rose, une centenaire qui a mordu dans la vie, née en Arménie au début du XXe siècle (le siècle des assassins comme elle l'appelle si bien). 

La vie de ce personnage semble incroyable, mais chacun des événements que l'auteur décrit fait partie de l'Histoire. À sa façon Franz-Olivier Giesbert utilise l'épopée de Rose comme prétexte pour raconter toutes les horreurs du XXe siècle, mais surtout afin de présenter la fureur de vivre que peuvent avoir certaines personnes, ainsi que cette force de résilience qui est si remarquable. Après avoir goûté au génocide arménien, à la Première puis à la Deuxième Guerre mondiale, après avoir rencontré les dirigeants du nazisme et du maoïsme, tout en voyant mourir ses proches les uns après les autres, Rose, à 105 ans a conservé sa bonne humeur. Je suis d'ailleurs un peu triste quand je pense qu'elle n'est qu'un personnage de fiction et que c'est impossible pour moi d'aller manger une parmesane dans son petit restaurant de Marseille. 


"Le jour de ma naissance, les trois personnages qui allaient ravager l'humanité étaient déjà de ce monde: Hitler avait dix-huit ans, Staline, vingt-huit et Mao, treize. J'étais tombé dans le mauvais siècle, le leur. Tomber est le mot. L'un des chats de la maison était monté dans le cerisier et n'arrivait plus à descendre.  [...] Peu avant le coucher du soleil, lorsqu'elle eut compris que mon père ne rentrerait pas, maman décida d'aller le libérer. Après avoir grimpé sur l'arbre en étirant son bras pour attraper le chat, ma mère ressentit, selon la légende familiale, sa première contraction. Elle prit la bête par la peau du cou, la relâcha quelques branches  plus bas et, saisie d'un pressentiment, s'allongea subitement dans le creux du cerisier, à l'intersection des branches. C'est ainsi que je vins au monde: en dégringolant." (p.28)

 En plus d'être très bien écrit et d'offrir une relecture des événements historiques pourtant maintes fois décrits, La cuisinière d'Himmler célèbre la vie, puisque, comme le proclame l'héroïne du roman: "On meurt de n'avoir pas vécu et sinon, on meurt quand même." (p.348) La lecture de cette oeuvre de fiction m'a fait penser à ma grand-mère, et à toutes les autres personnes âgées qui, derrière leur sourire, cachent leur lot de drame. À lire !

Franz-Olivier Giesbert, La cuisinière d'Himmler, Gallimard, 2013.

vendredi 8 novembre 2013

Au bon roman

Un roman de Laurence Cossé

Qui, parmi les passionnés de roman, n'a rêvé un jour que s'ouvre la librairie idéale ? Non pas ce qu'on appelle une bonne librairie, où l'on retrouve de bons romans, mais une librairie vouée au roman où ne sont proposés que des chefs-d'oeuvre ? En se lançant dans l'aventure, Ivan et Francesca se doutaient bien que l'affaire ne serait pas simple. Comment, sur quels critères, allaient-ils faire le choix des livres retenus ? Parviendraient-ils un jour à l'équilibre financier ? Mais ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'était le succès. 

Un livre qui parle de livres, c'est toujours passionnant. D'ailleurs, dans Au bon roman, on a vraiment affaire à des passionnés. Ivan, un libraire désabusé rencontre par hasard Francesca, une riche héritière. Tous deux ont la passion du roman, de l'excellent roman même. Avec les connaissances d'Ivan et le capital de Francesca, ils se lancent dans la folle aventure d'ouvrir une librairie où les livres seraient minutieusement choisis par un comité secret, afin d'offrir aux lecteurs une sélection frôlant la perfection. Au-délà du succès qui les surprend, c'est davantage les attaques sournoises de la concurrence qui les déstabiliseront. 

Le livre débute sur une série de crimes posés à l'encontre d'inconnus. On comprend après quelques pages que ce sont les membres du comité de lecture de la librairie qui sont visés par ces tentatives d'assassinats. Le récit qui compose l'essentiel du roman est donc le témoignage que déposent Ivan et Francesca, les fondateurs de la librairie, à un inspecteur de police. Cette enquête et ces crimes donnent une saveur de polar au roman sans toutefois en faire un roman policier. L'histoire de la création de la librairie, que l'on voudrait réelle, est tout aussi passionnante que l'intrigue en soi. L'histoire nous ouvre d'ailleurs à une réflexion sur le milieu du livre et de l'édition, mais aussi sur l'opinion publique et le choix des lecteurs (qui est ici présentée comme une invention modelée par la critique). 


" Je veux parler de la façon qu'ont maintenant les auteurs de vivre en rivalité, jusqu'à écrire, me dit-on, avec l'idée d'écraser des rivaux. Les prix littéraires ont une grosse responsabilité à cet égard. Écrire pour l'emporter sur les autres: quelle pauvre ambition. L'ordre de la création culturelle a ceci de beau et de singulier qu'il offre de la place à tout le monde. Et on s'emploie à le borner ! On en fait un marché couvert, où quelques best-sellers occupent tout l'espace. On : les éditeurs industriels, les journalistes moutonniers, les grossistes de la culture. Ah, j'aime mieux le monde des amateurs (...)." (p.169)

Petit bémol peut-être; le narrateur n'est pas extérieur, mais son identité n'est révélée qu'à la toute fin du roman. Ça m'a un peu déstabilisée, je me demandais tout au long du roman si j'avais manqué les présentations. Il est d'abord omniscient, et plus la lecture avance, plus il prend de la place pour devenir finalement un personnage à part entière, qui interagit avec les autres. En outre, il ne faut pas compter sur ce roman afin d'établir une liste de lecture ou pour flatter nos connaissances littéraires ! Très peu de titres y sont nommés, et quand ça arrive, il s'agit de romans peu connus ( du moins, qui m'étaient inconnus).

Cette lecture tombait vraiment juste, en cadrant parfaitement avec mon état d'esprit. Pour s'y plaire, je crois toutefois qu'il faut être intéressé par le milieu du livre. C'est donc un roman à lire si on est un amoureux des bons romans, aimant flâner des heures dans une librairie ! 

Laurence Cossé, Au bon roman, Gallimard, 2009, 497 pages.

La pendue de Londres

Un roman de Didier Decoin 


Allemagne, 1945. L'exécuteur en chef du Royaume Britannique, envoyé en mission pend la gardienne de camps nazis Irma Grese. Même s'il éprouve un réel dégoût à exécuter des femmes, surtout si elles sont jeunes et jolies, le bourreau fait son devoir: c'est un as dans l'art de la longueur des cordes, un expert dans le minutage de la mise à mort. Pourtant, le reste du temps, c'est un homme comme un autre, époux modèle, bon citoyen de Londres, immédiat après-guerre. 
Ruth Ellis ressemble à Betty Boop, enjouée et désirable, elle plaît aux hommes, et sans doute les choisit-elle fort mal. Mais derrière son sourire et sa bouche trop maquillée que cache-t-elle ? Dans le Londres charbonneux de l'après Blitz, d'entraîneuse, Ruth devient prostituée. Un jour, malheureuse, jalousée, violentée, mais toujours belle, et mère de famille, elle tue son amant, à bout portant. La voici condamnée à la pendaison.  Bourreau fais ton oeuvre ! Et si le bourreau avait une âme ? Et s'il répugnait soudain à supprimer une innocente aux boucles blondes ? Dans ce roman envoûtant, reconstitution en cinémascope d'un Londres luisant de "fog" et de pluie, théâtre de vices cachés dans une société bien-pensante, Didier Decoin alterne le chant du bourreau et de la victime. Saisissant. 

Le roman La pendue de Londres fait parti des parutions de la rentrée littéraire 2013. Didier Decoin, récipiendaire du prix Goncourt en 1977 pour John L'enfer, nous présente ici son vingt-cinquième roman. Pour ce récit, l'auteur s'est inspiré d'un fait divers de son enfance - la pendaison de Ruth Ellis à Londres dans les années 1950. 

L'histoire se développe donc autour de Ruth Ellis, qui sera en fait la dernière femme condamnée à mort en Angleterre et de son exécuteur, Albert Pierrepoint, le plus efficace de Grande-Bretagne. Ce croisement des deux histoires est une façon très intéressante de présenter les faits, ce que Decoin réalise dans une absence de jugement très appréciée. Bien que cette lecture entraîne une réflexion sur la peine de mort - qui a encore court dans certains pays rappelons-le - l'auteur s'appuie sur des périodiques de l'époque ainsi que  les autobiographies du fils de Ruth et du bourreau pour étoffer son récit de façon objective. 

Ruth Ellis semblait condamnée au malheur; abusée par son père dans son enfance, abandonnée par son premier fiancé alors qu'elle attend son enfant, battu par ses amants, elle se retrouve, un peu malgré elle, dans le milieu de la prostitution, avec, toujours, l'espoir de s'en sortir. De son côté, le bourreau nous explique ce qui l'a amené à être exécuteur en chef à temps partiel, boulot qu'il tente d'ailleurs de cacher à son épouse, jusqu'au jour où l'exécution d'une centaine de nazis le rend célèbre. Il nous explique d'ailleurs les dessous du métier de façon détachée mais avec beaucoup de précision, un aspect qui saura plaire à ceux qui ont aimé lire Folco. 

L'histoire démontre qu'on peut difficilement échapper à son destin. Pour Ruth Ellis, malgré les protestations des Britanniques qui la savaient innocente, ce fut d'être exécutée. Pour Pierrepoint, ce fut de procéder à la mise à mort de cette jeune femme, belle et innocente, lui qui avait pourtant souhaité ne plus exécuter de femmes. Un roman intéressant pour les faits qu'il présente et touchant pour l'émotion qu'il dégage. À lire !

Didier Decoin, La pendue de Londres, Grasset, 2013.