mercredi 30 octobre 2013

Le sel de la terre: Confessions d'un enfant de la classe moyenne

Un essai de Samuel Archibald


La classe moyenne est instrumentalisée par les politiciens et les commentateurs médiatiques, qui la dépeignent tantôt comme une immense cohorte de pauvres en devenir, tantôt comme une communauté martyrisée de contribuables parasités par l'État. Des pro­phètes de malheur annoncent même sa disparition. Enfant de la classe moyenne, Samuel Archibald a eu envie de se pen­cher sur ce qu'elle a été, ce qu'elle est devenue et ce qui l'attend. Et de parler de sa famille, des années 1980, de la religion du Publisac, de films de fin du monde et de stationnements de centres d'achats. 


Samuel Archibald, c'est cet écrivain, prof à l'UQAM, qui a charmé presque tout le monde avec son recueil de nouvelles Arvida paru en 2011 aux éditions Le Quartanier (récipiendaire du prix des libraires 2012 et du prix Coup de coeur Renaud-Bray). Il livre ici un essai dans lequel il s'interroge sur la classe moyenne au Québec. 

Ce que j'avais aimé d'Arvida, c'est l'univers ultraréaliste de Samuel Archibald ainsi que sa façon très personnelle de nous raconter ses histoires. Toutefois, j'avais trouvé que le corps de ses histoires manquait de tonus, et que la plupart des nouvelles tombaient à plat. Dans Le sel de la terre, je retrouve toute l'intelligence de l'auteur, sa façon de raconter qui me donne vraiment l'impression de lire un ami, un gars de ma génération. D'ailleurs, cet essai me fait un peu penser au style des articles de Urbania, mordant, mais terre-à-terre, dans lesquels on n'utilise pas nécessairement le joual, mais où l'on se permet un "criss" si c'est nécessaire (et Dieu sait que parfois, ce l'est !). 

"La classe moyenne est définie par ceux qui s'identifient à elle, la courtisent, la commentent. Elle se caractérise ainsi surtout en fonction d'un double rapport : au pouvoir (qu'elle ne désire pas réellement, mais par lequel elle se sent flouée) et  l'argent (dont elle dispose de façon mesurée: "Ni riche ni pauvre", telle est sa devise). Que tout le monde et son beau-frère se réclament de la classe moyenne témoigne du caractère excessivement souple de la notion, mais aussi de sa force identitaire." (p.24)

Il présente donc dans cet essai sa vision de la classe moyenne québécoise, son origine, son rapport à l'argent, sa personnalité, mais aussi son endettement et son individualisme. Le contenu est allégé par les "confessions" d'Archibald, qui sont en fait ses souvenirs d'enfance, et qui illustrent de façon relativement pertinente son propos. Nous n'avons pas affaire ici à un ouvrage scientifique rempli de chiffre et de statistique, mais bien à un livre d'opinion, léger, mais intelligent et surtout fort bien écrit. 

À découvrir ! 

Samuel Archibald, Le sel de la terre, Atelier 10, 2013, 75 pages. 


Du côté de chez Swann

Un roman de Marcel Proust


Quel meilleur moment que l'année du 100e anniversaire de la publication du premier tome de À la recherche du temps perdu pour entamer la lecture de cette oeuvre culte ? En réalité, j'ignorais ce fait lorsque j'ai décidé de débuter Du côté de chez Swann, et c'est en cours de lecture que j'ai appris qu'il avait été publié en 1913. 

À la recherche du temps perdu à été écrit par Marcel Proust entre 1908 et 1922, les sept tomes qui constituent cette série ont toutefois été publié entre 1913 et 1927. En effet, le premier tome de ce monument de la littérature française à d'abord été refusé par les éditions Gallimard avant d'être finalement publié chez Grasset. 

Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust (Hiiii Valentin !) est né à Paris en 1871 dans une famille  bourgeoise et cultivée. Il souffre d'asthme est homosexuel et vie une relation fusionnelle avec sa mère. Il meurt d'une bronchite à 51 ans. La société aristocratique dans laquelle il évolue influencera son oeuvre littéraire. 

Du côté de chez Swann, c'est donc l'oeuvre fondatrice, le roman qui présente aux lecteurs certains des personnages majeurs de La recherche. Dans la première partie, qui débute par cette célèbre phrase:  "Longtemps je me suis couché de bonne heure", le narrateur adulte parle des souvenirs qu'il associe aux chambres à coucher. Cela l'amène à raconter son enfance à Combray, une ville de campagne française, où il passait ses étés avec sa famille, dans la maison voisine de chez Swann. La deuxième partie est un intermède dans les souvenirs du narrateur, où nous est plutôt présenté un épisode de la vie amoureuse de Swann qui est épris d'Odette, une "cocotte" qui le rendra fou de jalousie. Finalement, la troisième partie retourne dans les souvenirs d'enfance du narrateur, qui nous décrit le moment où il rencontre Gilberte, la fille de Swann dont il tombe amoureux, faisant écho à l'amour de Swann pour Odette, les parents de Gilberte. 

"Et encore, même à ce point de vue de simple quantité, dans notre vie les jours ne sont pas égaux. Pour parcourir les jours, les natures un peu nerveuses, comme était la mienne, disposent, comme les voitures automobiles, de "vitesses" différentes. Il y a des jours montueux et malaisés qu'on met un temps infini à gravir et des jours en pente qui se laissent descendre à fond de train en chantant." (p.383)

Proust nous offre une réflexion sur les souvenirs, sur l'illusion de la mémoire, bref une introspection sur ce "temps perdu"qu'est notre passé plus ou moins lontain. C'est ce qui en fait une lecture intemporelle. C'est également une fresque historique, puisque Proust y dresse un portrait fidèle de la vie sociale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, chez l'aristocratie et la bourgeoisie française, qui fréquentent les salons en écoutant du Wagner. Quoique profondément ancrée dans cette période du tournant du siècle, l'oeuvre de Proust peut paraître moderne, notamment pour le regard qu'il pose sur la sexualité et l'homosexualité. 

En ce qui a trait à la lecture, c'est sans aucun doute un exercice qui demande de la concentration, voire même des efforts de la part du lecteur. Les phrases longues et les paragraphes s'étendant sur plusieurs pages requièrent toute notre attention et permettent très peu de pauses. Il s'agit somme toute de romans que l'on peut difficilement ignorer lorsque l'on s'intéresse un tant soit peu à la littérature.



On compte de nombreuses éditions. La citation est tirée de: Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Folio, 1995, 527 pages. 

mardi 29 octobre 2013

Esprit d'hiver

Un roman de Laura Kasischke

Réveillée tard le matin de Noël, Holly se voit assaillie par un sentiment d'angoisse inexplicable. Rien n'est plus comme avant. Le blizzard s'est levé, les invités se décommandent pour le déjeuner traditionnel. Holly se retrouve seule avec sa fille Tatiana, habituellement si affectueuse, mais dont le comportement se révèle de plus en plus étrange et inquiétant. 


Laura Kasischke est une auteure et poétesse américaine qui connaît davantage de succès en France qu'aux États-Unis. Son dernier roman, Esprit d'hiver, qui vient tout juste de paraître, fait déjà beaucoup parler de lui. 

Kasischke y raconte l'histoire de Holly qui, le jour de Noël, reste coincée à la maison avec son adolescente de 15 ans. Alors que la tempête fait rage, les invités annulent leur présence au dîner de Noël et la tension monte entre la mère et la fille. Holly se réveille avec l'impression que quelque chose cloche, et cette angoisse la suit tout au long de la journée, alors que sa relation avec sa fille ne fait qu'empirer. 

Ce huis clos, favorisé par l'atmosphère étouffante du blizzard, permet un récit haletant et qui entraîne le lecteur dans un sentiment de malaise, qui ne cesse de croître au fil des pages. L'état de confusion de la mère l'amène à revoir des épisodes de son passé à la recherche de l'origine de son inconfort. Ces retours dans le temps, l'auteure nous les présente sous forme de redites qui loin d'être dérangeantes, nous plonge plutôt peu à peu dans le même état de confusion que celui de la mère.


"Il y avait quelque chose dans tout ça. Quelque chose au sujet de tout ça qu'elle craignait de ne jamais comprendre si elle ne trouvait pas le temps de s'asseoir à son bureau et de le découvrir en mot avec un stylo ! Et pourtant, ce qu'elle était en train de faire - étreindre son enfant - l'empêchait de s'éclipser, de trouver un stylo et du papier ou d'allumer l'ordinateur." (p.88)

Le questionnement de Holly sur le comportement de sa fille et sur son propre rôle de mère prend de plus en plus de place au coeur de l'histoire. L'auteure parvient à créer un véritable thriller psychologique, à la façon d'un Shutter Island, où la confusion et l'incompréhension du personnage principal rongent l'esprit du lecteur. 

Le roman m'a également fait penser à Sukkwan Island de David Vann, pour le contexte de huis clos forcé entre un parent et son enfant où l'on assiste à la perte de contrôle du parent qui devrait pourtant faire office de repère. 

Bref, c'est un roman coup-de-poing, dans lequel on embarque rapidement, et qui nous tient en haleine jusqu'à la dernière page. La fin surprenante me hante encore. À lire, et vite !

Laura Kasischke, Esprit d'hiver, Christian Bourgois éditeur, 276 pages.  

lundi 21 octobre 2013

Persepolis

Une bande dessinée de Marjane Satrapi

Je prends carrément goût aux bandes dessinées ! Cette fois-ci, j'ai lu Persepolis,  qui nous entraîne dans le récit auto-biographique de l'auteure, illustrant sa jeunesse en Iran lors de la révolution islamique puis de la guerre Iran-Irak. 

C'est avec des dessins sobres en noir et blanc accompagnant d'assez longs textes que Marjane Satrapi nous fait découvrir une partie de l'histoire de cette nation qui, soyons francs, nous est méconnue. J'ai lu le recueil regroupant les quatre tomes, chacun divisé en dix courts chapitres, parus entre 2000 et 2003.

La narratrice, Marjane, débute son récit alors qu'elle a à peine dix ans. Enfant unique, elle grandit au coeur d'une famille aisée, avec des idées plutôt de gauche. Nous la voyons faire face à la répression grandissante, à l'imposition du voile, puis à la guerre, et à l'exil. Cette lecture ne constitue certes pas un cours d'histoire de la Perse, mais pourra susciter l'intérêt et permettre de réfléchir aux notions d'intégrité, de persécution et d'identité. 

Considéré comme un réel succès tant chez les critiques que pour les lecteurs (un peu moins du côté islamiste toutefois), Persepolis a été porté à l'écran en 2007, par l'auteure, dans un long métrage d'animation présenté à Cannes. Le film a également été nommé aux Oscar en 2008. En voici la bande-annonce: 


En cette période où juger l'autre semble être à la mode, cette lecture m'apparaît tout désigné !

Marjane Satrapi, Persepolis, L'association, 2007.

dimanche 20 octobre 2013

Je vais mieux

Un roman de David Foenkinos

Un jour je me suis réveillé avec une inexplicable douleur dans le dos. 
Je pensais que cela passerait, mais non. 
J'ai tout essayé... 
J'ai été tour à tour inquiet, désespéré, tenté par le paranormal. 
Ma vie a commencé à partir dans tous les sens. 
J'ai eu des problèmes au travail, dans mon couple, avec mes parents, avec mes enfants. 
Je ne savais plus que faire pour aller mieux... 
Et puis, j'ai fini par comprendre. 




Qu'on se le dise, l'histoire d'un gars qui a mal au dos, ce n'est pas super attirant. Mais c'est vraiment le propre de Foenkinos d'écrire sur des gens assez ordinaires qui vivent des situations plus ou moins ordinaires. On l'a vu dans Le potentiel érotique de ma femme et encore dans La délicatesse. Mais pourtant, on le lit et on y prend goût. Il faut dire que David Foenkinos a le pouvoir d'écrire de façon délicate, avec une pointe d'humour et surtout d'accrocher le lecteur, même si en fait on lit des histoires plus banales que notre propre vie...


"C'était comme si j'avais toujours su que j'allais finir au sous-sol du monde. Certains ont la certitude de leur réussite, ils débordent d'ambition en sachant que ça payera un jour. Moi, il me semblait que j'avais vécu ma vie avec le sentiment que dans mon corps croupissait le compte à rebours de l'échec. J'avais vécu avec la certitude inconsciente du précipice." (p.44)


Ainsi, Je vais mieux c'est l'histoire d'un homme, un peu "plate" qui se retrouve tout à coup aux prises avec un énorme mal de dos, qui ne cesse de croître. Pourtant, les spécialistes lui assurent qu'il n'a rien. On se doute bien que le pauvre homme psychosomatise à fond, et qu'il devra régler des trucs dans sa vie afin de guérir. C'est sans compter le fait que son existence, très tranquille et ordinaire, s'écroule soudainement. On assiste alors à la dégringolade de sa vie, puis à sa remontée chaotique sur la route de la guérison et de la compréhension de soi. 

C'est intelligent, ça se lit bien et le texte est rempli de ces petites phrases qu'on aurait voulu écrire; "C'est ridicule de visiter une ville, aussi belle fût-elle, quand on est amoureux". (D'ailleurs, ça me fait penser à du Alexandre Jardin). La lecture de Je vais mieux m'a fait sourire, et l'auteur a réussi à me charmer encore une fois. À lire, pour le plaisir !

David Foenkinos, Je vais mieux, Gallimard, 2013, 330 pages. 

samedi 19 octobre 2013

Yellow birds

Un roman de Kevin Powers

Bartle, 21 ans, est soldat en Irak, à Al Tafar. Depuis l'entraînement, lui et Murph, 18 ans, sont inséparables. Bartle a fait la promesse de le ramener vivant au pays. Une promesse qu'il ne pourra pas tenir... Mrurphy mourra sous ses yeux et hantera ses rêves de soldat et, plus tard, de vétéran. 
Yellow birds nous plonge au coeur des batailles où se déroule la vie du régiment conduit par le sergent Sterling. On découvre alors les dangers auxquels les soldats sont exposés quotidiennement. Et le retour impossible à la vie civile. 
Kevin Powers livre un roman fascinant sur l'absurdité de la guerre, avec une force aussi réaliste que poétique. 

J'avais déjà entendu parler de Yellow Birds plusieurs mois avant sa sortie au Québec. On le décrivait comme étant un grand roman américain, dont l'écriture rappelait à quelques égards celle de Hemingway. Ça avait piqué ma curiosité, mais lorsque j'ai compris que c'était un roman sur la guerre en Irak, j'ai eu un mouvement de recul. Veut-on vraiment lire un roman américain sur la guerre ? Une histoire qui glorifie la grande nation américaine, et qui vante la bravoure et l'héroïsme de ces soldats, très peu pour moi. J'ai finalement laissé mes préjugés de côté et j'ai lu Yellow birds. 

L'écriture est sans aucun doute l'un des points forts du récit. L'auteur combine la richesse de sa plume à sa connaissance accrue du sujet, ayant lui-même combattu à Al Tafar en 2004 et 2005. Il soutient que le roman n'est pas autobiographique, mais que son expérience a plutôt permis d'enrichir l'histoire de sensations réelles. Quant à la traduction française, elle comporte selon moi certaines faiblesses puisqu'un "fuck man" perd beaucoup de son intensité en étant traduit par "putain mecton".  


"J'étais devenu une espèce d'infirme. Ils étaient mes amis, n'est-ce pas ? Pourquoi ne pouvais-je tout simplement pas nager à leur rencontre ? Qu'est-ce que je leur dirais ? "Hé, comment ça va ?" s'exclameraient-ils en me voyant. Et je répondrais, "J'ai l'impression que quelque chose me bouffe de l'intérieur et je ne peux rien dire à personne parce que tout le monde est si reconnaissant envers moi; je me sentirais trop ingrat si je me plaignais de quoi que ce soit." Ou un truc du genre, "Je ne mérite la gratitude de personne, et en vérité les gens devraient me détester à cause de ce que j'ai fait, mais tout le monde m'adore et ça me rend fou."(p.160)


Avec cette lecture, on ne se questionne pas tant sur le conflit que sur les sentiments des soldats qui y prennent part. Loin de chercher à nous faire accepter la guerre, l'auteur en fait plutôt ressortir l'absurdité et la froideur. Ce n'est pas une lecture facile; Powers ne ménage pas ses lecteurs, sans pour autant être vulgaire. Yellow Birds décrit aussi le difficile retour à la réalité des vétérans, qui semble encore plus bouleversant que la guerre elle-même. 

Yellow birds est un très beau texte, riche en émotions. À lire pour comprendre la réalité - presque intemporelle - des soldats.    

jeudi 17 octobre 2013

Inferno

Un roman de Dan Brown 

Robert Langdon, professeur de symbiologie à Harvard, se réveille en pleine nuit à l'hôpital. Désorienté, blessé à la tête, il n'a aucun souvenir des dernières trente-six heures. Pourquoi se retrouve-t-il à Florence ? D'où vient cet objet macabre que les médecins ont découvert dans ses affaires ? Quand son monde vire brutalement au cauchemar, Langdon va s'enfuir avec une jeune femme, Sienna Brooks. Rapidement, Langdon comprend qu'il est en possession d'un message codé crée par un éminent scientifique - un génie qui a voué sa vie à éviter la fin du monde, une obsession qui n'a d'égale que sa passion pour l'une des oeuvres de Dante Alighieri: le grand poème épique Inferno. 
Pris dans une course contre la montre, Langdon et Sienna remontent le temps à travers un dédale de lieux mythiques, explorant passages dérobés et secrets anciens pour retrouver l'ultime création du scientifique - véritable bombe à retardement - dont personne ne sait si elle va améliorer la vie sur terre ou la détruire.

Je viens tout juste de terminer Inferno le dernier roman de Dan Brown, l'auteur du désormais célèbre Da Vinci Code. Dans ses précédents romans, l'auteur nous avait habitués à des chasses au trésor haletantes, à des complots réalisés par d'antiques organisations secrètes (Opus Dei, Illuminati, Francs-Maçons), à des courses contre la montre, et surtout à des pages regorgeant des plus troublants secrets de l'histoire, plus ou moins réalistes. C'est tout ce qui avait fait le succès de Da Vinci Code et de Anges et démons. C'est tout ce qui ne fera pas le succès de Inferno

D'abord, le rythme d'Inferno n'est pas aussi infernal (!) qu'on pourrait s'y attendre. Langdon, le réputé professeur de symbiologie, se fait vieux, et son amnésie ne l'aide vraiment pas à nous surprendre par ses connaissances phénoménales. Il navigue en plein mystère, ce qui ne contribue pas à étoffer le récit. Et que dire de sa comparse, Sienna Brooks, supposée être un génie avec un QI dépassant les 200, mais qui semble la plupart du temps un peu nouille. En outre, les secrets de l'histoire sont un peu moins savoureux - voire inexistants - cette fois-ci, l'enjeu reposant sur une crise très contemporaine, nous donnant parfois l'impression d'être au coeur d'un roman de science-fiction.

"Sur l'écran s'afficha le titre de sa conférence: Le divin Dante ou la symbolique de l'Inferno. - L'Enfer est si riche en symboles et en iconographie que souvent, je consacre un semestre entier à son étude. Et ce soir, je ne vois pas de meilleure façon de dévoiler ces symboles qu'en faisant le voyage avec Dante. Alors, je vous propose de passer avec lui les portes de l'Enfer... "(p.111)

Plutôt que de m'accrocher, les trop nombreux revirements de situation m'ont fait perdre le fil - et l'intérêt. Quand ça fait trois fois que le même personnage passe de bon à méchant, on finit par douter de la cohérence de l'auteur. J'ai lu les cent dernières pages en priant pour éviter un autre rebondissement et en luttant contre l'envie de sauter des pages, pour me sortir de cet "enfer". 

Par contre, comme les autres romans de Dan Brown, Inferno nous fait visiter de grandes villes européennes et nous amène au coeur des musées les plus réputés ou les plus méconnus de ces cités. On a encore une fois droit à des descriptions intéressantes sur des oeuvres d'art qui ont marqué l'histoire. D'ailleurs, j'ai lu le roman en me référant régulièrement au site web Inferno Guide, qui offre de l'information supplémentaire, des photos et des cartes, permettant une expérience de lecture encore plus complète. 

À lire surtout si on est mordu de l'auteur. À mon avis, pour des histoires de peste et d'enquêtes policières davantage efficaces, mieux vaut lire Pars vite et reviens tard de Fred Vargas. 

Inferno, Dan Brown. JCLattès, 2013, 567 pages.

vendredi 11 octobre 2013

Chroniques de Jérusalem

Une bande dessinée de Guy Delisle

Guy Delisle et sa famille s'installent pour une année à Jérusalem. Pas évident de se repérer dans cette ville aux multiples visages, animée par les passions et les conflits depuis près de 4.000 ans. Au détour d'une ruelle, à la sortie d'un lieu saint, à la terrasse d'un café, le dessinateur laisse éclater des questions fondamentales et offre une vision différente de Jérusalem.


J'ai beaucoup entendu parler des Chroniques de Jérusalem mais j'ai longtemps repoussé le moment de découvrir cette bande dessinée. J'ai (re)découvert l"univers de la BD récemment avec entre autres Le journal de mon père l'oeuvre du japonais Jirô Taniguchi. Tandis qu'avec Taniguchi j'ai découvert le Japon des années 50 et 60, Chroniques de Jérusalem m'a, bien sûr, permis d'en apprendre plus sur cette ville et la région qui l'entoure, sur sa diversité culturelle et religieuse mais aussi sur l'origine et l'ampleur des conflits qui y font toujours rage. 

La conjointe de Guy Delisle travail pour médecins sans frontière, ce qui amène toute la famille à beaucoup voyager. Delisle a d'ailleurs déjà publié deux albums sur ses séjours en Corée du Nord (ici) et en Birmanie (ici). Je n'ai pas lu ces deux albums, mais la découverte des Chroniques de Jérusalem me donne carrément envie de lire tout ce qu'a fait l'auteur.


Avec une pointe d'humour et des dessins délicats - voire naïfs - Delisle nous fait découvrir Jérusalem. Sans être didactique cette BD est une bonne source d'information, mais donne surtout envie d'en apprendre plus par nos propres moyens. En plus, la BD ça se lit trop rapidement pour s'en passer ! 

Guy Delisle, Chroniques de Jérusalem, Delcourt, 2011, 334 pages.







jeudi 10 octobre 2013

Les perroquets de la place d'Arezzo

Un roman de Eric-Emmanuel Schmitt

"Ce mot simplement pour te signaler que je t'aime. Signé: tu sais qui."
Cette lettre anonyme trouble l'existence des riverains de la place d'Arezzo. Dans ce quartier élégant de Bruxelles, quel original, quel pervers, quel corbeau déguisé en colombe s'acharne à violer leur intimité? Le message entraîne autant de promesses et d'attentes que de déceptions et de catastrophes, chacun l'interprétant à sa façon. 
Menée par Eric-Emmanuel Schmitt, cette ronde effrénée devient l'encyclopédie des désirs, des sentiments et des plaisirs, le roman des comportements amoureux de notre temps. 

Je viens de terminer Les perroquets de la place d'Arezzo, un autre roman incontournable de la rentrée littéraire 2013. Avec ce roman chorale, j’ose dire que Eric-Emmanuel Schmitt ne fait aucun faux pas.
(Note: j’ai longtemps cru que l’adjectif choral — comme dans film choral ou roman choral — faisait référence aux chorales. Donc quand j’entendais «film choral», je pensais immédiatement au film Les choristes. En réalité, on parle plutôt d’une histoire avec plusieurs personnages principaux, dont les destins s’entrecroisent, comme le sympathique film de Woody Allen To Rome with love.)

Chacun des protagonistes reçoit une lettre d’amour anonyme. Réflexe naturel; chacun choisi, à sa convenance, qui en est l’auteur, ce qui provoque de grandes joies ou de petites déceptions, voire même des catastrophes. Bien que Schmitt ait choisi de développer la thématique de la sexualité, du désir et de l’amour, on est loin de Fifty shades of Grey. En effet, l’auteur s’intéresse davantage aux mécanismes unissant les gens entre eux de même qu’au regard que l’on porte sur notre propre sexualité. Afin d’illustrer cette réflexion, Eric-Emmanuel Schmitt mettra en scène des accros du sexe, des homosexuels affirmés et d’autres qui le sont un peu moins, des solitaires et des ultrapopulaires, des cocus, des jeunes et des vieux, cette diversité des personnages lui permettant de couvrir largement le spectre social. Il parvient habilement à soutenir une quinzaine d’histoires en simultanée de façon à ce que le lecteur accorde autant d’importance et d’intérêt à chacune d’entre elles.

«Je ne suis pas si sûr d’être isolé, tu sais. Que sont les grandes amitiés, sinon des relations asexuées ? Qu’est l’amour paternel, maternel ou filial, sinon une relation asexuée ? Les seules amours qui existent et qui marchent sont les amours sans sexe. Chacun, sans trop se forcer, parvient à être un fils, un frère, un ami, un père. Rarement tout à la fois. En revanche, le monde s’obstine avec l’amour libidineux, même si ça part en eau de boudin. Je vais te glisser une confidence: la femme que je préfère dans ma vie est celle avec qui je n’ai jamais eu et avec qui je n’aurai jamais de relations sexuelles.» (p.564)

J’aime bien Éric-Emmanuel Schmitt. Il peut être profond (La part de l’autre) ou plus léger (Odette Toutlemonde et autres histoires) mais à chaque fois il a réussi à capter mon attention et à me faire vivre des émotions, ce qu’il a encore réussi à faire avec son dernier roman. À lire! 

Eric-Emmanuel Schmitt, Les perroquets de la place d’Arezzo. Albin Michel, 2013, 730 pages. 

dimanche 6 octobre 2013

La nostalgie heureuse

Un roman de Amélie Nothomb

"Tout ce que l'on aime devient une fiction." - Amélie Nothomb. 

Depuis 1992, rentrée littéraire rime avec Amélie Nothomb. Cette année, l'auteure belge nous présente La nostalgie heureuse qui raconte son retour au Japon dans le cadre d'un documentaire de la télévision française. Amélie Nothomb n'avait pas remis les pieds dans le pays qui l'a vue naître et grandir depuis seize ans, c'est donc avec nostalgie qu'elle retrouvera son école maternelle, le quartier où elle a grandi - qui fut détruit par le tremblement de terre de 1995 - mais également sa nounou et son ancien fiancé. 

La nostalgie heureuse est un roman autobiographique qui constitue en quelque sorte une suite logique à Stupeur et tremblements, métaphysique des tubes et Ni d'Ève ni d'Adam, romans qui sont d'ailleurs mentionnés à quelques reprises dans le dernier Nothomb et que je vous suggère de lire (voire même de relire) avant de débuter celui-ci. 

On y découvre une Amélie qui se questionne sur sa propre existence et qui se surprend à retrouver son visage sur une ancienne photo de classe, puisqu'elle s'était laissée "envahir d'un si profond sentiment d'irréalité" qu'elle en était venue à douter de son passé nippon (p.69). Mais à l'issue de ce voyage, c'est une impression d'accomplissement qui marquera l'écrivaine, et qui lui fera - étrangement - ressentir le vide des moines zen, le kensho.

"Pour traduire combien je suis nostalgique de mes jeunes années dans le Kansai, j'entends l'interprète dire "nostalgic" au lieu de l'adjectif "natsukashii" que je tiens pour l'un des mots emblématiques du japonais. Après l'interview, dans le taxi qui nous conduit au restaurant réservé par l'éditeur, j'essaie de tirer cela au clair avec Corinne. 
- "Natsukashii" désigne la nostalgie heureuse, répond-elle, l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur. Vos traits et votre voix signifiaient votre chagrin, il s'agissait donc de nostalgie triste, qui n'est pas une notion japonaise." (p.90)


Il s'agit d'un roman plus intime et plus réfléchi que ses derniers livres. Toutefois, je crois qu'il faut connaître l'auteure, avoir déjà un lien ou même un attachement pour le personnage qu'est Amélie Nothomb pour être touché par ce livre, justement en raison de son caractère intimiste. En effet, la présence des caméras tournées sur elle, l'équipe de tournage centré sur sa personne et même l'idée de pèlerinage peuvent déranger les moins convaincus et faire décrocher les non-initiés. 

Bref, un roman à lire lorsqu'on aime Amélie. (Mais si vous ne la connaissez pas, qu'attendez-vous ? )

mercredi 2 octobre 2013

Maine

Un roman de J. Courtney Sullivan 

Pourquoi la vie de famille est-elle si compliquée ? Et comment faire quand la moindre conversation peut déclencher un drame ? Les femmes de la famille Kelleher se posent les mêmes questions mais n'y apportent jamais les mêmes réponses. Réunies pour une dernière fois dans leur maison de vacances du Maine, Alice (la grand-mère), Kathleen (la mère), Maggie (la petite-fille) et Ann Marie (la belle-fille) tentent de vivre ensemble malgré les secrets et les discordes passées. Cet été bouleversera leur existence. 

Il me semblait avoir entendu quelqu'un en librairie comparer Maine avec La vérité sur l'affaire Harry Québert, mais je dois forcément  avoir mal entendu. Non pas que Maine soit un mauvais livre, mais on est loin du "page turner" de Joël Dicker. 

On a plutôt affaire ici à une histoire de famille où les relations sont houleuses, et le resterons quasiment tout au long du récit. Chaque chapitre a comme personnage principal l'une des quatre femmes de cette famille irlandaise, ce qui permet de comparer leur version des faits et d'expliquer certaines tensions. Cela permet également de découvrir les qualités de celles qui sont décrites si négativement par leurs proches. 

La religion catholique et ses valeurs prennent une grande place dans ce roman et se traduisent de différentes façons selon les personnages; en culpabilité chez la grand-mère, en jugement chez la belle-fille, en rédemption chez la fille. Maine nous parle également du choc des générations, de la perte des traditions, et de la pression familiale. 

"Les années passèrent. Elle ne s'habituait pas à la façon qu'avait le temps d'accélérer sa course. Il y eut des petits-enfants. Daniel prit sa retraite. Ses enfants venaient désormais dans le Maine quand cela leur chantait, sans jamais prendre la peine de prévenir. Ils se contentaient d'apporter des hot-dogs, des bières, des gâteaux ou une tarte aux myrtilles de chez Ruby's Market. Chaque été Daniel et elle restaient les deux points de repère dans ce tourbillon."(p.26)

J'ai detesté le personnage de Kathleen alors que les trois autres femmes m'ont presque attendrie. En outre, j'aurais aimé que l'auteure accorde plus d'importance aux paysages côtiers du Maine en décrivant plus amplement les lieux (comme l'a fait par exemple Claudie Gallay ici). Et si quelqu'un comprend la fin, prière de me faire signe, parce que ça m'a surtout donné l'impression que l'auteure ne savait pas comment boucler l'histoire. Peut-être aussi que ça laisse présager une suite... 

Somme toute une histoire divertissante, mais légère. Dans la lignée des romans féminins américains moyens (Elin Hildebrand, Barbara Delinsky, et cie.) À découvrir pour se changer les idées et décrocher, et surtout pour se rappeler que notre famille est pas si terrible finalement ! 

J. Courtney Sullivan, Maine, Éditions Rue Fromentin, 2013, 450 pages.