vendredi 30 août 2013

La fin des temps

Un roman de Haruki Murakami

À Tokyo, dans le laboratoire souterrain d'un immeuble très protégé, un homme doit brouiller un programme informatique à la demande du vieux savant qui l'a inventé. Ce travail a priori banal, le précipite dans des profondeurs hantées de « ténébrides » et de nervix. Ce qui n'entame pas son appétit d'amours, de cuisine, l'alcool et de musique. 

Dans une ville fortifiée, sans affect, sous plaisir et sans larme, un homme, séparé de son ombre, doit lire des rêves dans des crânes de licorne. 

Entre  ce « pays des merveilles sans merci  » et ce lieu de la « fin du monde », si antinomiques, circulent des pensées fugaces, des objets tangibles qui semblent témoigner - sans certitude - que réalités et rêves de ces deux espaces-temps cohabitent, que l'un et l'autre homme pourraient ne faire qu'un.


J'ai acheté ce roman parce que j'ai eu un coup de coeur pour la couverture de l'édition spéciale (avec un jaquette en plastique ligné bleu !). Mais également parce que plusieurs personnes m'ont parlé de Murakami et que je voulais découvrir cet auteur. J'ai choisi ce livre sans même en connaître l'histoire, mais je savais déjà que Murakami faisait dans le roman mystérieux, à la frontière de la science-fiction et du rêve.

Cet univers est loin de ma zone de confort. 

J'ai d'abord été charmé par l'écriture de Murakami, par la façon qu'il a de décrire pendant plusieurs pages un ascenseur, et les sensations que cet ascenseur provoque chez le narrateur, sans que ce soit lourd. J'ai été porté par le récit, jusqu'à ce que l'action arrive. Mais cette lecture m'aura permis de découvrir que je préfère les histoires où il n'y a pas trop d'aventures finalement ! J'avais l'impression de lire un Jules Vernes sur le LSD. 

"Vérifiant où nous posions les pieds à l'aide de la lampe dirigée vers le sol, nous continuâmes à avancer de coté, pas à pas. De temps en temps, le vent froid qui nous caressait les joues amenait à nos narines une odeur pestilentielle de poisson mort, qui chaque fois me coupait la respiration. C'était comme si nous étions prisonniers du ventre d'un énorme poisson aux entrailles retournées et grouillantes de vers. On entendait toujours les cris des ténébrides. C'était aussi désagréable à entendre qu'un son extirpé de force à quelque chose qui ne peut pas en produire." (p.469)

J'ai beaucoup aimé l'alternance entre deux histoires qui semblent d'abord tout à fait éloignées et qui finalement se recoupent. J'ai aussi beaucoup aimé le fait que les deux personnages principaux soient aussi confus que moi devant les situations improbables auxquelles ils font face. J'avais l'impression d'être à leur côté, de partager leur surprise. Finalement, j'ai apprécié les clins d'oeil musicaux et littéraires que l'on retrouve tout au long du roman et qui contribuent à augmenter la confusion: des situations fantastiques/énigmatiques dans un univers connu, à la limite du banal. 

En somme, j'ai été déstabilisé par mon expérience avec Murakami. J'ai aimé l'histoire, et le style de l'auteur, sans être transportée comme certains l'auront été. Je lirai peut-être autre chose de l'auteur, mais... ça ne presse pas !

Haruki Murakami, La fin des temps, Folio, 2012, 629 pages.

mardi 20 août 2013

Le journal de mon père


Une bande-dessinée de Jirô Taniguchi

Le héros de cette histoire s’appelle Yoichi Yamashita et travaille à Tokyo dans une agence de design. Apprenant la mort de son père, il revient après une très longue absence à Tottori, la ville qui l’a vu grandir. Au cours d’une veillée funèbre très arrosée, le passé des années 50 et 60 ressurgit : l’incendie qui a ravagé la ville et la maison familiale, le dur labeur pour la reconstruction, le divorce de ses parents, ses souffrances d’enfant… Lors de cette veillée, chaque membre de la famille apporte un éclairage nouveau sur la personnalité de ce père que Yoichi tenait jusque-là pour responsable du désastre familial. Le fils réalise finalement, mais trop tard, qu’il a sans doute été le seul responsable de leur douloureuse incompréhension.


Le journal de mon père nous présente Yoichi, un jeune homme qui revient dans son village natal après une longue absence, afin d'assister à la veillée funèbre de son défunt père qu’il n’a pas revu depuis des années. À travers le récit d’amis et de membres de la famille, Yoichi réalise trop tard qu’il à méconnu son père, qu’il considérait, à tort, comme coupable de l’échec de leur vie de famille. Cette soirée lui permet enfin de réaliser «le bonheur d’avoir des racines.»

Moi qui est peu familière avec la bande dessinée et le roman graphique en plus d’avoir des connaissances de la société nippone plutôt limitées, j’ai réellement appréciée cette lecture. Bien que Taniguchi nous offre des dessins très simples de même qu’une histoire plutôt tranquille, l’ensemble parvient à nous tansporter. J’ai aimé me laisser bercer par les souvenirs de cette famille japonaise du milieu du siècle. Je crois que c’est une excellente façon de pénetrer dans l’univers de la bande dessinée japonaise. 

Jirô Taniguchi, Le journal de mon père, Casterman, 2004, 277 pages

lundi 19 août 2013

Certaines n'avaient jamais vu la mer

Un roman de Julie Otsuka

Les visages, les voix, les images, les vies que l'auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis un homme qu'elles n'ont pas choisi. C'est après une éprouvante traversée de l'océan Pacifique qu'elles rencontrent pour la première fois celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir. À la façon d'un choeur antique, leurs voix se lèvent et racontent leur misérable vie d'exilées. 

Certaines n'avaient jamais vu la mer, paru en 2012 a été reçu chaleureusement par la critique lors de sa sortie. Cet accueil est justifié. En quelques 140 pages, l'auteure nous transporte littéralement dans cette communauté de Japonaises qui traversent l'océan pour rejoindre un mari inconnu, aux États-Unis, afin de vivre leur propre american dream. 

"Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines  étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage. Parfois l'océan nous avait pris un frère, un père, un fiancé, parfois une personne que nous aimions s'était jetée à l'eau par un triste matin pour nager vers le large, et il était temps pour nous, à présent, de partir à nous tour." (p.11)

Écrit au "nous", le choeur formé de toutes ses voix de femmes nous transmet la douleur des rêves brisées, la peur de l'inconnu et les regrets, mais aussi les beautés de la maternité, puis l'incompréhension face aux enfants qui s'enracinent si facilement dans une société qui est encore méconnue pour leur parent. Puis à nouveau l'exil, lorsque les Japonais seront perçu comme des traitres durant la deuxième guerre mondiale, même s'ils sont au États-Unis depuis plus de 25 ans. 

Roman beau et parfois déchirant. À lire pour mieux comprendre ce qu'est l'exil.

Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka, Phébus, 2012, 139 pages. 


Les vestiges du jour

Un roman de Kazuo Ishiguro

Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l'influent Lord Darlington puis d'un riche Américain. Les temps ont changé et il n'est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu'à ce qu'il parte en voyage vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante qu'il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de la loyauté et de ses choix passés...

Dire que j'ai failli abandonné ce roman après quelques chapitres... Quelle erreur j'aurais fait ! Je serais passé à côté d'une grande histoire, dont la force repose à la fois sur la justesse de l'écriture et sur la puissance des non-dits, et si parfaitement écrite qu'on croirait lire les mémoires authentiques d'un majordome anglais. Difficile de croire que ce livre a été écrit dans les années 1980 !

Stevens, majordome dans une grande maison anglaise nous fait part de ses réflexions sur son travail qui, jusqu'à ce jour, a représenté toute sa vie. Le voyage qu'il entreprend en voiture est l'une des rares occasions qu'il aura eu de quitter les murs du domaine où il est employé. Le but du voyage; retrouvé Miss Keaton, ancienne collègue de travail. Nous apprendrons - entre les lignes toujours - qu'ils ont jadis été amoureux. 

Stevens est certes un grand majordome, lui qui a toujours mis son travail de l'avant avec "dignité". C'est une histoire de loyauté, de sentiments refoulés; "Stevens vous allez bien ? - Oui monsieur. Parfaitement bien.  - Vous avez l'air de pleurer." Jamais, dans son récit, Stevens ne mentionnera la présence d'une quelconque émotions, autre que la fierté du travail bien accompli, et c'est à demi-mots que l'on comprend que le destin de Stevens aurait pu être totalement différent... 

"Mais si un majordome espère arriver à avoir un quelconque mérite au cours de sa vie, il faut bien qu'arrive un moment où il met fin à sa quête; un moment où il se dit : "Cet employeur incarne tout ce que je trouve noble et admirable. Dorénavant, je me consacrerai à son service." Cela, c'est de la loyauté jugé intelligemment. Où est l'absence de "dignité" dans cette attitude ?" (p.280)

C'est donc une histoire empreinte de tristesse et de refoulement rédigé dans un style impeccable que je vous invite à découvrir !

Kazuo Ishiguro, Les vestiges du jour, Gallimard, 1989. 
Aussi chez Folio.


La fée des balcons

Un roman de Maude Favreau 

C'est l'histoire vue à travers les binocles d'hypermétrope d'une enfant qui vit avec sa mère dans les années 80. Une histoire captée par ses mains, son nez, sa bouche, son coeur qui bat à des kilomètres à l'heure. Valentine s'enflamme pour un quotidien transformé au fil de son imagination foisonnante, une imagination qui explique bien des situations étranges. Valentine vit sa vie d'enfant entourée d'adultes, Valentine n'est pas à l'abri des difficultés, mais Valentine ne ferme les yeux sur rien... 

La fée des balconspublié en mars 2013, est le premier roman de Maude Favreau. On y découvre le petit monde d'une fillette audacieuse d'une dizaine d'années, à l'imagination fertile et à la langue poétique, dont la mère dépressive est le centre de l'univers. 

Maude Favreau joue avec les mots à la manière d'un Fred Pellerin, en créant des images fortes. Ces images qui, à mon avis, semblent parfois prendre toute à la place, comme si l'auteure, en voulant former des phrases riches et imagées, créait, bien malgré elle, une distance entre le lecteur et le récit. 
"Grand-papa, il sent le sous-bois, la terre humide et les champignons, et ses bâtons de marche sont des racines quand sa tête veut toucher le ciel, comme s'il avait des branches dans les oreilles connectées sur l'univers. Quand il parle, son dentier claque pour traduire en morse tout ce qu'il dit. C'est un penseur des bois, un magicien de l'aube qui fait chanter les huards et couleur le ruisseau, un sage au ralenti qui mange du cheddar aussi vieux que lui." (p.107)
Le récit est constitué d'une série de petites scènes anecdotiques, favorisant ainsi une lecture rapide et dynamique. À lire si on aime  les plumes joliment poétiques mais également pour être transporté dans l'univers de l'enfance, avec ses drames et ses joies. 


La fée des balcons, Druide, 2013, 233 pages. 


mardi 13 août 2013

Bonjour tristesse


Un roman de Françoise Sagan. 

La villa est magnifique, l'été brûlant, la Méditerranée toute proche. Cécile a dix-sept ans. Elle ne connaît de l'amour que des baisers, des rendez-vous, des lassitudes. Pas pour longtemps. Son père, veuf, est un adepte joyeux des liaisons passagères et sans importance. Ils s'amusent, ils n'ont besoin de personne, ils sont heureux. La visite d'une femme de coeur, intelligente et calme, vient troubler ce délicieux désordre. Comment écarter la menace? Dans la pinède embrasée, un jeu cruel se prépare. C'était l'été 1954. On entendait pour la première fois la voix sèche et rapide d'un « charmant petit monstre » qui allait faire scandale. La deuxième moitié du XXe siècle commençait. Elle serait à l'image de cette adolescente déchirée entre le remords et le culte du plaisir.

Bonjour tristesse est le premier — et probablement le plus grand — roman de Françoise Sagan. 

C’est en 1953, du haut de ses 18 ans, que Sagan amorce la rédaction de cette oeuvre qui la propulsera dans le milieu de la littérature française. Les Français l’ont d’ailleurs placé à la 41e place du top 50 des plus grands livres du 20e siècle (ICI)

Étonnamment moderne, le texte de Sagan nous transporte dans la vie d’une adolescente de 17 ans pour qui le plaisir est tout ce qui compte. Sentant ce plaisir menacé, Cécile sera déchirée entre le désir d’être prise en main et celui de rester dans son univers où la liberté est effervescente. 

Comment ne pas se laisser emporter par un roman débutant d’une si belle façon : 

«Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.» (p.1)


J’ai vraiment aimé cette lecture. L’écriture de Sagan est réaliste sans être froide, touchante sans être racoleuse. 

À lire! 

Françoise Sagan, Bonjour tristesse, Julliard, 1954. 
Plusieurs éditions de poche ont également été publiées,  notamment chez Pocket, 2009

dimanche 11 août 2013

Un homme à distance

un roman de Katherine Pancol

"Ceci est l'histoire de Kay Bartholdi. Un jour Kay est entrée dans mon restaurant. elle a posé une grosse liasse de lettres sur la table. Elle m'a dit : tu en fais ce que tu veux, je ne veux plus les garder." Ainsi commence ce roman par lettres comme on en écrivait au XVIIIe siècle. Il raconte la liaison épistolaire de Kay Bartholdi libraire à Fécamp, et d'un inconnu qui lui écrit pour commander des livres.


Ce roman de Katherine Pancol a été publié en 2002. C'est une histoire épistolaire, présentant la relation entre une libraire et son client. Ce qui m'a beaucoup fait penser à 84 Charing Cross Road. C'est aussi une bonne lecture pour qui a aimé Quand souffle le vent du nord ou encore Le cercle littéraires des amateurs d'épluchures de patates. Ces romans épistolaires ont d'ailleurs tous l'avantage de se lire très rapidement !

Ainsi Pancol, que j'avais connu avec sa trilogie débutant par Les yeux jaunes des crocodiles nous offre ici un roman beaucoup plus intimiste. On y découvre aussi son amour de la littérature, puisque par la bouche des ses personnages, elle nous parle de livres et d'auteurs, de Madame de Lafayette jusqu'à Stefan Zweig. Et on fini par se reconnaître un peu dans l'affection presque charnel que porte Kay aux romans... 

"J'ai dévoré le livre. Jonathan... Le soleil montait par-dessus les toits en ardoise du village, les tables se vidaient puis se remplissaient autour de moi, les clients venaient faire leur tiercé, les vieux habitués, le coude fondu dans le bar, tout congestionnées, additionnaient les verres, les enfants couraient autour des tables, les femmes tendaient leur visage au soleil en clignant de l'oeil, les hommes s'épongeaient le front et je lisais. Je lisais. Je lisais. Je lisais. " (p.102)

L'histoire est touchante. Une libraire, une femme blessée par l'amour, s'est réfugiée dans une petite ville normande après un échec amoureux. L'homme, un auteur de guide touristique, lui commande des livres. Ensemble ils discuteront de littérature, puis, peu à peu, échangeront des confidences.

Un homme à distance est à découvrir si on aime le genre et surtout si on aime les livres qui parlent de livres !

Katherine Pancol, Un homme à distance, Le livre de poche, 2002. 
Helen Hanff, 84 Charing cross road, Le livre de poche. 
Daniel Glattauer, Quand souffle le vent du nord, Le livre de poche, 2011. 
Mary Ann Schaffer, Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, Nil, 2009. 
Katherine Pancol, Les yeux jaunes des crocodiles, Le livre de poche, 2007. 

jeudi 8 août 2013

Le vieux qui lisait des romans d'amour

Un roman de Luis Sepulveda

Antonio José Bolivar connaît les profondeurs de la forêt amazonienne et ses habitants, le noble peuple des Shuars. Lorsque les villageois d'El Idilio les accusent à tort du meurtre d'un chasseur blanc, le vieil homme quitte ses romans d'amour - seule échappatoire à la barbarie des hommes - pour chasser le vrai coupable, une panthère majestueuse...

Ce court roman du Chilien Luis Sepulveda a reçu un accueil unanime de la part des critiques et du public lors de sa parution en 1992. Depuis, il trône parmi les lectures scolaires obligatoires et a sa place aux côtés des classiques de la littérature mondiale. 

Je me demande donc comment j'ai pu passer aussi longtemps à côté de cette lecture ! C'est ma libraire préférée qui m'a recommandé de le lire sans plus attendre. Effectivement, tout est attirant dans ce livre, son petit nombre de pages, son titre charmant de même que la couverture éclatante de l'édition poche parue chez Point. De plus, il s'insérait à merveille dans ma thématique Amérique Latine (qui est au beau fixe depuis un moment). 

"Il savait lire. Ce fut la découverte la plus importante de sa vie. Il savait lire. Il possédait l'antidote contre le plus redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire. Mais il n'avait rien à lire." (p.56)

Je ne veux pas trop en dire sur ce roman mais j'aimerais vous donner envie de le lire à votre tour, si ce n'est déjà fait. 

L'histoire est simple et intemporelle, le personnage principal attachant. Le vieil homme doit sortir de sa retraite tranquille au coeur de la jungle afin de chasser un animal sauvage. La bêtise de l'humain moderne y côtoie la sagesse des indigènes sans fausse démagogie. 

À elle seule, la dernière phrase du roman en vaut des centaines d'autres. 

À lire. À relire. 

Luis Sepulveda, Le vieux qui lisait des romans d'amour, Point, 1994. 121 pages. 

dimanche 4 août 2013

Le Premier Amour


Un roman de Véronique Olmi

Une femme prépare un dîner aux chandelles pour fêter son anniversaire de mariage. Elle descend dans sa cave pour y chercher une bouteille de vin, qu’elle trouve enveloppée dans un papier journal dont elle lit distraitement les petites annonces. Soudain, sa vie bascule: elle remonte les escaliers, éteint le four, prend sa voiture, quitte tout. En chacun d’entre nous repose peut-être, tapie sous l’apparente quiétude quotidienne, la possibilité d’être un jour requis par son premier amour. 

C’est un hasard si j’ai lu ce livre-ci tout de suite après celui de Julian Barnes. Mais le roman de Véronique Olmi se lit très bien en prolongement de Une fille, qui danse. Tandis que chez Julian Barnes le premier amour repousse avec amertume le personnage principal, chez Olmi, le premier amour rattrape Emilie, la narratrice, et lui fait tout abandonner sur un coup de tête. 

J’ai beaucoup aimé l’écriture de cette auteure française que je lisais ici pour la première fois. Elle sait choisir les mots pour créer des phrases tout en images et en sensations. Tout y est réfléchi et chaque élément s’insère dans une logique qui se justifie de page en page. 

«Après Lyon, j’ai roulé lentement, le bras à la fenêtre, dans la campagne floue de ce jour de juin (...) Quelque chose venait de cette terre qui m’était connue et qui m’appartenait, un peu comme un foulard pris dans les branches, que l’on ne parvient pas à atteindre et qui se balance au vent, un signe de nous-mêmes, personnel et perdu.» p. 58

J’ai aussi aimé son rapport à l’espace et au temps, où les souvenirs deviennent beaucoup plus nostalgiques et rêveurs que chez Barnes. 

Et que dire de cet extrait où une mère énumère tout ce qu’elle voudrait dire à ses filles sans jamais oser leur dire: 

«Je voudrais parler à mes filles, Zoé et Pauline, et  Jeanne aussi, qui vit à Londres. Je voudrais les tenir dans mes bras et qu’elles comprennent que j’ai le savoir d’elles-mêmes et que les hommes qui les aiment mal sont des passants à éviter. Je voudrais leur dire qu’elles ont droit au meilleur, elles méritent ce qui coupe le souffle, ce qui est une folie. Je voudrais leur dire qu’elles sont la plus belle part dieux, la promesse des hommes, et qu’elles croient les mots des mères qui élisent leurs enfants comme d’exceptionnels prodiges.» p.82 

Bien sûr, mon côté pragmatique me fait douter du réalisme de cette histoire. Vraiment, tout quitter pour courir vers le coup de foudre que l’on a eu à 15 ans, qui a duré le temps d’un été ? Peut-être que je ne suis pas assez fleur bleue... Mais bon, ça fait une belle histoire, alors pourquoi pas ! 

Véronique Olmi, Le Premier Amour, Grasset, 2010, 299 pages. 
aussi chez Le livre de poche, 2011.